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Des familles aux institutions d’assistance médicale : parcours volontaires, parcours obligés (Gênes, XVIIIe siècle)

Cinzia Bonato
Traduction de Sylvie Huet
p. 79-97

Résumés

Cet article identifie quelques-unes des raisons pour lesquelles, au cours de XVIIIe siècle, les gouvernements favorisèrent le renforcement et le financement des soins hospitaliers au détriment d’autres types d’assistance. En utilisant les procès criminels de l’hôpital de Pammatone et de l’Albergo dei Poveri de Gênes, sont étudiés les liens existant entre l’hôpital et les familles ou individus qui utilisèrent ses ressources, en essayant d’approfondir les raisons de l’engouement de la population pour cet établissement. En suivant le parcours de certains individus qui passèrent d’une institution à l’autre, il est aussi possible de décrire la formation d’une culture des bénéficiaires qui, en véhiculant les informations sur les soins prodigués par l’hôpital, jette les bases d’une culture médicale des bénéficiaires établissant un rapport de confiance entre l’hôpital et ses patients.

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Texte intégral

  • 2 Concernant les médecins dans l’Italie moderne, voir PASTORE A., Il medico in tribunale. La perizia (...)
  • 3 FILIPPINI N. M., « Levatrici e ostetricanti a Venezia tra Sette e Ottocento », Quaderni Storici, an (...)
  • 4 MORTIMER I., The Dying and the Doctors: The Medical Revolution in Seventeenth-Century England, Roya (...)
  • 5 CAVALLO S., Artisans of the Body in Early Modern Italy. Identities, families and masculinities, Man (...)

1Jusqu’à présent, l’histoire de l’assistance sanitaire s’est concentrée sur les services fournis par les professionnels de santé : médecins, chirurgiens et apothicaires2, ou bien encore sur la figure de l’accoucheuse, en équilibre instable au XVIIIe siècle entre tradition et médicalisation de la profession3. En revanche, l’activité d’autres types de personnel au sein des institutions sanitaires, ainsi que la place occupée par les hôpitaux dans un système d’assistance plus complexe ont moins attiré l’attention. S’il ne fait aucun doute qu’à l’époque moderne, l’hôpital, aux yeux de la population, est de plus en plus considéré comme l’endroit le plus indiqué pour résoudre des problèmes de santé4, la relation entre les divers personnels de l’institution et les patients allait bien au-delà de la simple prestation médicale. L’étude menée par S. Cavallo sur les chirurgiens turinois révèle les liens étroits, d’ordre professionnel, social et familial qui, au XVIIIe siècle, existaient entre ces praticiens et ceux qui, de par leur profession, prenaient soin du corps (coiffeurs, tailleurs, parfumeurs ou bijoutiers). La mise en avant de ces artisans of the body, professionnels jusqu’alors laissés dans l’ombre, a permis de souligner l’existence de liens forts entre l’environnement hospitalier et le monde extérieur, tout en offrant une perspective plus large, de l’hôpital vers la société, la famille, la parenté et les autres professions5.

2En étendant ainsi le champ de l’enquête, il est plus aisé de comprendre comment l’hôpital s’est s’affirmé comme un lieu d’excellence, à la fois en matière d’enseignement de la médecine, mais aussi de soins apportés à la population. Nous l’illustrerons en prenant l’exemple de l’hôpital de Gênes, Pammatone, fondé au XVe siècle, mais qui ne s’est imposé qu’au XVIIIe comme prestigieuse université et principal prestataire de services médicaux, enregistrant alors une affluence croissante de malades provenant aussi bien de la République que de l’étranger. Jusque-là, Pammatone n’avait été qu’une forme d’assistance parmi d’autres dans la ville, un lieu consacré aux soins du corps.

  • 6 Dans sa naissance et son développement, l’hôpital de Gênes suivit le même schéma que la plupart des (...)
  • 7 L’histoire de Pammatone est reparcourue par CARPANETO DA LANGASCO C., Pammatone. Cinque secoli di v (...)
  • 8 Le grand intérêt que les hôpitaux suscitaient parmi les bienfaiteurs est également démontré dans le (...)
  • 9 Cf. la correspondance d’Anna Maria Pallavicini et de son mari Gian Luca (décembre 1746), dans COSTA (...)
  • 10 BONATO C., Crimini di povertà: la Genova del Settecento, tesi di laurea, Università degli Studi di (...)

3En péninsule italienne, l’assistance était principalement financée par d’importantes donations de familles fortunées ; les institutions génoises ne firent pas exception6. Dans la première moitié du XVe siècle, Bartolomeo Bosco fonda Pammatone, en destinant une bonne partie de ses biens à l’hôpital. À partir de la fin du siècle, l’Église et l’aristocratie, pour mener à bien leur projet de regroupement des petits hôpitaux présents dans la ville, firent en sorte d’aider et de financer l’institution7. Dès lors, et jusqu’à la suppression de la République, l’hôpital fonctionna surtout grâce aux généreuses donations8. Les raisons qui poussèrent les plus aisés à investir dans les grandes institutions sociales étaient politiques : un vaste système d’assistance garantissait la paix sociale en créant par là même de nouveaux espaces pour leur permettre d’exercer leur pouvoir9. La nouvelle aristocratie – en opposition à la vieille aristocratie – en était bien consciente : elle créa, dans la première moitié du XVIIe siècle, les conditions politiques nécessaires et trouva les fonds pour la construction du spectaculaire Hôtel des Pauvres, achevée en 165610.

  • 11 GRENDI E., Ideologia della carità e società indisciplinata : la costruzione del sistema assistenzia (...)

4Le système d’assistance, par le biais des grandes institutions, subvenait aux besoins de la population en contrôlant et distribuant des ressources. Il comprenait l’Hôtel des Pauvres, les hôpitaux (Pammatone et gli Incurabili), l’annone – mise en place pour taxer les prix du pain sur le marché – et un système de distribution de polizze, des bons alimentaires permettant aux plus nécessiteux de retirer leur pain, chaque semaine, gratuitement11. Ce système resta en place tout au long de l’Ancien Régime, mais à la fin du XVIIIe siècle, certaines de ses composantes furent supprimées (l’annone et la distribution du pain) et d’autres formules expérimentées (l’Hôtel se transforma en workhouse et en hospice) tandis que Pammatone, après une crise de réorganisation, continua à exercer ses fonctions, se révélant être la plus solide des institutions d’assistance.

5Ce sont les dynamiques sociales liées aux diverses fonctions de l’institution – qui proposait des soins médicaux, certes, mais qui offrait également des emplois et rendait la justice puisqu’il était judiciairement compétent – qui expliquent son succès, attirant les ressources que la République de Gênes, au-delà de l’esprit philanthropique, décida d’allouer à l’hôpital, au détriment d’autres types d’assistance.

  • 12 L’activité de l’Hôtel des Pauvres débuta en 1656. Officiellement reconnu comme maison d’enfermement (...)
  • 13 Registres, Manuels des décrets, mais surtout procès criminels conservés dans les Archives de l’Hôpi (...)
  • 14 C’est ce que souligne également E. TADDIA dans « Corpi, cadaveri, chirurghi stranieri e ceroplastic (...)

6Afin de comprendre comment fonctionnait Pammatone au sein du système social et quels étaient les différents usages de l’institution par la population, nous passerons en revue, dans un premier temps, les liens existant au XVIIIe siècle entre l’hôpital de Gênes et les familles et individus qui utilisèrent les ressources qu’il mettait à disposition ; nous tenterons ainsi de comprendre sa popularité. Nous étudierons ensuite la place occupée par l’hôpital dans le système d’assistance sociale de la ville, en suivant le parcours d’individus qui passèrent, pour les uns de Pammatone à l’Hôtel des Pauvres (L’Albergo dei Poveri)12, quand d’autres faisaient le chemin inverse. Tandis que le passage d’une institution à l’autre était régi par des accords généraux ou au cas par cas, nous verrons que les individus ou leurs familles parvenaient aussi à influer sur ces mobilités, comme le montrent les documents produits par la Magistrature de Pammatone13. Nous nous arrêterons finalement sur l’hôpital en tant que lieu de soin, en tâchant de comprendre par quels biais les patients pouvaient accéder aux informations sur les soins prodigués et ainsi s’adresser à l’institution. Si les dossiers cliniques ou les rapports de médecins et chirurgiens manquent cruellement14, des données concernant la fréquentation de l’hôpital laissent entrevoir des changements importants au cours du siècle, dus notamment à l’hospitalisation croissante de femmes enceintes entrainant une médicalisation de la naissance en particulier.

Les raisons du succès de Pammatone

7Afin de comprendre quelles furent les raisons du lien très fort entre l’hôpital et la population, au point qu’il fut indispensable pour le gouvernement d’assurer sa continuité, nous devons examiner l’éventail d’opportunités que l’hôpital avait offert depuis sa fondation jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Rappelons tout d’abord que l’hôpital accueillait diverses catégories professionnelles. Médecins et chirurgiens, présents depuis sa fondation, jusqu’à la fin du XVIIe siècle, étaient assistés par un personnel religieux, des philanthropes, des volontaires ou encore quelques rares domestiques. Les ordres religieux se sont succédés, devenant de moins en moins influents et autonomes vis-à-vis des autres praticiens. Depuis la fin du XVIIe siècle s’était amorcé un amoindrissement de la place des religieux – frères et sœurs – dans l’institution, progressivement remplacés par des personnels de service laïcs, puis le phénomène s’accentua au siècle suivant, à cause d’une diminution du personnel religieux disponible.

  • 15 Le nombre de famille pratiquant l’exposition est de plus en plus important et au XVIIIe siècle, ave (...)
  • 16 Le Magistrat de l’hôpital, qui avait juridiction sur tous les délits commis contre et dans l’instit (...)

8La présence des volontaires est plus originale et s’explique par la présence, dès le XVIe siècle, de tours d’abandon installés pour recueillir les enfants illégitimes. Après avoir passé quelques jours auprès d’une nourrice sédentaire au sein de l’hôpital, les enfants étaient élevés à la campagne par des nourrices payées par Pammatone. Tandis que le tour d’abandon permettait aux familles d’avoir recours à l’exposition afin de rétablir les équilibres familiaux15, il permettait également de faire fonctionner l’institution. En effet, celle-ci était également dotée, dès les débuts du XVIe siècle, d’un Conservatorio, foyer accueillant les filles de la maison (figlie di casa, nom donné aux enfants exposées) réintégrées à l’hôpital lorsque les familles d’adoption ne parvenaient pas à leur trouver un métier ou à les marier16 : elles travaillaient alors aux différents ateliers de production et, à partir du XVIIIe siècle, certaines d’entre elles furent affectées au service hospitalier. C’est ainsi que les enfants illégitimes et les filles de la maison oeuvrèrent au sein de l’institution, entraînant un changement dans l’encadrement des malades, c’est-à-dire une laïcisation.

  • 17 AOG, CC II, Processo di furto a danni di Maria figlia dell’ospedale contro di Sebast.o e Tommaso pa (...)

9Outre les liens créés entre les nourrices, les familles d’accueil et l’institution, le placement des exposées au sein du Conservatorio des filles de la maison occasionnait de nouvelles interactions sociales. La Magistrature restait ainsi une référence pour ces femmes qui n’étaient pas mariées et avaient besoin d’une intervention judiciaire. Citons le cas de Maria qui, à 68 ans passés, s’adressa au Magistrat pour résoudre un litige lié à un vol qui lui avait gravement porté préjudice17. Les forts liens entre l’hôpital et les exposés, mais surtout avec les filles de la maison, pour lesquelles la Magistrature détenait l’autorité parentale, contribuèrent donc à faire de l’institution un point de référence constant dans de nombreux parcours de vie : ceux des nourrices qui s’y rendaient régulièrement pour encaisser la rémunération à laquelle elles avaient droit ; ceux des familles d’accueil qui pouvaient non seulement intégrer au budget familial l’allocation perçue mais aussi contribuer à assurer une base familiale aux enfants accueillis ; ceux des exposés, qui étaient élevés à ses frais et soumis à son contrôle ; ceux des filles de la maison qui ne pouvaient dissoudre leur relation avec la Magistrature qu’à travers le mariage.

  • 18 En 1710, la moyenne mensuelle des personnes hospitalisées était de 1 674 ; elle chuta à 1 200 en 17 (...)
  • 19 CARPANETO DA LANGASCO C., Pammatoneop. cit, p. 245.
  • 20 Littéralement un barberotto est un phlébotomiste qui pratique la saignée dans les hôpitaux, mais il (...)

10Revenons à présent à la diversité du personnel présent à Pammatone. Tandis que l’accroissement du nombre de malades hospitalisés est réel au XVIIIe siècle18, le rapport entre patients, soignants et personnels administratifs dans l’hôpital est semblable à la situation de 1815, quand on procéda à une restructuration des effectifs due à la diminution des personnes hospitalisées19. On compte alors 252 membres du personnel (22 %) pour 968 malades (78 %). Les filles de la maison arrivent en tête (53 %), suivies de loin par les domestiques (17 %), les sœurs (8 %) et autres religieux (5 %), les barberotti20 (6 %), les médecins, chirurgiens et assistants chirurgiens (respectivement 4 % et 3 %), les accoucheuses (3 %) ainsi que les apothicaires (2 %). Seulement 18 % du personnel (y compris sages-femmes et apothicaires) exerçait donc une profession médicale, ce qui peut paraître peu. N’oublions pas le rôle des religieux, des domestiques et des filles de la maison qui pouvaient eux aussi dispenser des soins, comme le font aujourd’hui les infirmiers et les aides-soignants. Il est toutefois difficile de connaître la répartition exacte des tâches des domestiques ou des filles de la maison entre les activités à la cuisine, à la blanchisserie ou à la concierge et les tâches susceptibles de les rapprocher des professions médicales. Toutes précautions prises, on peut souligner, et ce dès la fin du XVIIe siècle, la laïcisation des soins, grâce à un remplacement progressif du personnel religieux par les filles de la maison et les domestiques – auxquels on ajoute souvent le nom Di Casa. Ajoutons à cela des besoins croissants en personnels extérieurs face aux nombreuses activités connexes créées par l’activité de l’hôpital (fournisseurs de matériel et d’aliments, nourrices sédentaires et externes, maçons, experts et avocats, forgerons, porteurs de cercueils…).

  • 21 La carrière intergénérationnelle de la famille Bonomi en est un exemple éloquent : du portier (Vinc (...)

11L’hôpital devint ainsi une institution primordiale pour la population, à la fois carrefour social et lieu de distribution de ressources économiques. Il engendrait la création de nouvelles professions, vecteur potentiel de mobilité sociale21, et était aussi, au-delà d’un lieu de soins et de refuge, un moyen de résolution des problèmes familiaux, comme l’accouchement illégitime. On comprend mieux ainsi en quoi financer la structure hospitalière et renforcer le fonctionnement de l’université de médecine et chirurgie était, pour l’aristocratie, un avantage politique et social, tandis que l’adoption progressive de l’institution par la population favorisa et stimula la confiance dans les professionnels de santé et le recours croissant aux pratiques médicales officielles.

L’hôpital dans le système d’assistance sociale et ses relations avec l’Albergo

  • 22 AOG, CC I, Deposizione di Teresa Pertina Testa per il fatto a cui ha dato luogo la condotta de Giac (...)

[Questa] è la storia della mia vita, e dalli 18 mesi molto cattiva, e la quale voglio assolutamente mutare, anzi desidero di ritirarmi nell’Albergo di Carbonara, e quando non si trovasse persona che mi facesse la carità di pagare per me, penso di vendere li miei ori, e qualche cosa delle mie robe per mantenermivi per quel tempo potrò aiutarmene22.

  • 23 Cf. FOUCAULT M., Folie et déraison. Histoire de la folie à l’âge classique, Plon, Paris, 1961, mais (...)

12Ces quelques mots furent prononcés par Teresa Pertina Testa devant un des quatre députés formant le Magistrat administrant l’hôpital. Elle se trouvait alors à Pammatone où, couverte de bleus et de blessures, elle s’était réfugiée pour échapper aux coups de son concubin. Elle raconta ce qu’elle avait enduré au cours des derniers dix-huit mois, reconnaissant ses fautes et suppliant de pouvoir séjourner à l’Hôtel des Pauvres. Teresa connaissait à la perfection le parcours qu’il fallait suivre pour y accéder : trouver un prêteur (une Dame de Miséricorde, un bienfaiteur ou un Révérend, qui aurait pu réunir les fonds d’une quête) ou vendre le peu qu’elle avait pour s’y réfugier, au moins le temps de reconstruire sa vie, en se faisant oublier par son bourreau. Grâce aux échanges d’informations au sein de la population, elle avait une parfaite connaissance du système d’assistance sociale génois et était bien décidée à en exploiter les ressources. Teresa apparaît ainsi comme une femme aussi avertie que compétente, une posture marginalisée par l’histoire de l’assistance, pourtant désormais éloignée de la vision d’individus passifs intégrés à des institutions en charge de les discipliner23.

  • 24 Le problème a été posé par ALLEGRA L. dans Stato e monopolio del controllo sociale. Il caso del Pie (...)
  • 25 GRENDI E., « Premessa a Sistemi di carità: esposti e internati nella società di antico regime », Qu (...)
  • 26 Ibidem.

13Tout reste à découvrir sur la manière dont la population faisait usage de ces institutions. Edoardo Grendi a évoqué une cultura dei reclusi, mais nous pourrions supposer que cette culture s’étendait à tous les bénéficiaires de l’assistance, contribuant à la formation d’un consensus et au succès du système24, surtout là où il s’avérait le plus avantageux et où il pouvait répondre à l’aspiration de tous : améliorer les conditions de vie sociale et professionnelle25. Cette culture partagée constituait un capital social et culturel, acquis grâce aux mouvements au sein du système d’assistance, comprenant, outre la création de nouveaux secteurs professionnels autour d’eux26, un réseau de connaissances et de contacts à utiliser à l’intérieur et en dehors du système, la capacité à se servir de ses composants, à savoir tirer avantage de demandes opportunistes d’hospitalisation par exemple.

14Ce type de connaissances et de compétences influença également la relation entre la population et les services médicaux. Cette familiarité avec l’institution née à force de la fréquenter, non pas uniquement pour des soins, mais aussi pour des questions de survie quotidienne, a eu des conséquences importantes. Elle a permis de renforcer la confiance des patients dans les médecins et les chirurgiens, contribuant à donner d’eux une image positive, ainsi qu’un statut de plus en plus important et largement reconnu. En outre, elle a consolidé l’image de l’hôpital comme un lieu d’élaboration du savoir médical et de prestations de soins de santé, et ce, non seulement dans les mentalités, mais également dans les pratiques collectives. Par ailleurs, inclure Pammatone dans un système d’assistance sociale favorisa la diffusion des informations sur les services fournis, et ce grâce au transfert d’office des patients d’autres institutions vers l’hôpital et vice versa.

15On peut donc affirmer que la « culture des bénéficiaires » contribua à forger l’adhésion envers l’hôpital en tant qu’institution d’assistance, mais également pour la médecine qui y était pratiquée. Afin de mieux comprendre cette culture et souligner que les démarches intéressées étaient beaucoup plus nombreuses que ce que l’on pouvait penser jusqu’alors, nous nous focaliserons sur les parcours, volontaires et obligés, qui s’effectuèrent entre l’hôpital et l’Hôtel des pauvres.

  • 27 Avec le décret, le retour à l’institution n’était autorisé que deux ans après les soins : BRUZONNE,(...)
  • 28 32 % d’hommes et 40 % de femmes en 1676-79, selon GRENDI E., « Pauperismo e Albergo dei Poveri nell (...)
  • 29 Pris en apprentissage.
  • 30 Il existe deux possibilités : manger blanc (qui prévoyait du pain blanc, plus cher et de bonne qual (...)
  • 31 BRUZZONE, L’Albergo dei Poveri… op. cit., p. 147 pour l’Instruction et p. 131, note 9 pour les décr (...)
  • 32 Cf. notamment FERRANTE L. et al., Ragnatele di rapporti… op. cit.

16Arrêtons-nous, pour le moment, sur l’hospitalisation opportuniste au sein de l’Hôtel. Un décret de la Députation de l’Hôtel démontre que déjà en 1689, les prostituées avaient trouvé le moyen d’utiliser l’institution en s’y faisant enfermer pour ensuite passer à l’hôpital, d’office et à ses frais, afin d’y être soignées pour la syphilis27. L’enfermement pouvait donc être conçu comme une opportunité à saisir, dans la perspective d’un passage de l’Hôtel des pauvres à Pammatone. Ainsi les volontaires à la réclusion au sein de l’Hôtel étaient-ils fort nombreux28 : les campagnards y excellaient quand la laborieuse récolte des fruits ne suffisait pas à leur subsistance ; les familles y faisaient enfermer leurs enfants, en espérant qu’ils soient accartati29 par l’Hôtel, dans une boutique ou par un maître pour qu’ils apprennent un métier. Une place dans un lavorerio n’était pas non plus malvenue, les orphelins y étaient envoyés et y restaient jusqu’à ce qu’ils soient capables de survivre seuls une fois dehors. Les personnes âgées s’y réfugiaient, pouvant même choisir leur nourriture30, pour y passer le restant de leurs jours sans soucis, ou presque. La population bénéficiant de l’assistance y était très attachée : déjà en 1701 et encore en 1741, les rumeurs qui s’étaient répandues quant au renvoi de nombre de bénéficiaires pour résoudre des problèmes financiers provoqua agitation et tumulte dans les services de l’œuvre pieuse31 : signe que ceux qui étaient à l’intérieur comptaient bien y rester. Les personnes qui avaient une rente ou qui pouvaient vendre quelque chose y entraient en se vidant les poches, ceux qui n’avaient rien essayaient d’avoir recours aux moyens habituels, et notamment au patronage32. La sollicitation des Dames de Charité était le moyen le plus prisé, mais les quêtes organisées par les Révérends ou les bonnes paroles d’un ancien patron haut-placé pouvaient elles aussi servir.

  • 33 Voir l’AOG, St. I, Registro 1765-1766, n. 21, Div. B, p. 149-159.
  • 34 Au XVIIIe siècle, le mouvement entre l’Hôtel et les hôpitaux était particulièrement important, voir (...)
  • 35 Ibidem, p. 57 : les données pour 1780 (informations tirées de Rollo degli uomini dell’Archivio Stor (...)

17Examinons maintenant les cas trouvés dans les procès criminels de Pammatone, concernant tout le XVIIIe siècle, et dans lesquels l’Albergo est nommé. Les rapports entre les deux institutions étaient régis par des accords33 : l’Hôtel des pauvres avait à cœur de faire des conventions avec l’hôpital pour garantir l’hospitalisation occasionnelle des reclus34 et, de son côté, Pammatone avait recours à la détention de ses bénéficiaires au sein de l’Hôtel chaque fois qu’il devait régler un grave problème interne. Le secours était réciproque avec toutefois un déséquilibre au détriment de l’hôpital35 (signe que l’Albergo a fortement contribué à assimiler l’hôpital a un lieu de soins), ce qui, plus d’une fois, donna lieu à des querelles sur qui devait payer pour les bénéficiaires qui passaient d’une institution à l’autre. Les documents criminels passés ici au crible permettent de prendre connaissance à la fois des déplacements de Pammatone vers l’Hôtel, mais aussi des entrées et sorties dans les deux institutions, avec des précisions sur les rapports qu’entretenaient les deux députations face aux problèmes de gestion de l’activité de l’hôpital : les délits des filles de la maison, la politique sur les accouchements illégitimes, la nécessité de recourir au service de l’Hôtel où les individus étaient placés en détention…

  • 36 Les documents concernant l’activité juridique du Magistrat concernent l’ensemble du XVIIIe siècle, (...)
  • 37 AOG, Cause (Criminalium). De l’an 1704 à 1785 (ci-après CC II), Processo formato contro di Pellegri (...)
  • 38 AOG, CC I, Per Rosa Santamaria moglie di Venanzio Massa rimessa dall’Albergo di Carbonara, e ad ins (...)
  • 39 « pour être protégée et libérée de la persécution de mondit père qui fut ensuite jeté en prison »
  • 40 « pour purger la peine de détention qui lui avait été infligée en correction »
  • 41 « pour y être protégée »

18Il n’est possible de suivre la trajectoire que d’une poignée d’individus dans les documents stipulant la relation entre les deux institutions avant 175936. Baliano Pellegrina fu Pellegro subit un long procès pour infanticide devant le Magistrat de Pammatone en 1710. Malgré les témoignages en sa faveur, elle fut condamnée à passer quinze ans dans l’Hôtel des pauvres sans sortie possible, sous peine d’être fouettée aux portes de S. Stefano et de S. Tommaso37. Dès le début du siècle, Pammatone s’adressait donc à l’Hôtel. Le cas de Rosa Santamaria, en 1786, démontre que, dans certaines situations, ces déplacements étaient utilisés comme des antichambres d’autres destinations ou pour intervenir en faveur des malheureux38. Mariée à un homme couard et absent, Rosa avait été abusée sexuellement et persécutée par son propre père ; elle avait toutefois réussi à le dénoncer au Deputato di Mese degli Inquisitori di Stato, qui, pour assurer sa protection, l’envoya à l’Hôtel des pauvres « per custodia, e [per] venire liberata dalla persecuzione del detto mio padre, che poi è stato posto in prigione »39. Rosa, qui portait en son sein le fruit de l’inceste, témoigna à Pammatone, accoucha et fut ensuite renvoyée à l’Hôtel « per consumare il tempo prefissosi di sua detenzione a correzione »40, pour purger sa détention, alors que cette même femme avait déclarée qu’en réalité elle se trouvait à l’Hôtel « per custodia »41. Il n’est pas question d’adoucir l’image dure que l’on s’est fait de la détention dans l’Hôtel ; il s’agit juste de suggérer que, parfois, les interventions des institutions pouvaient, elles aussi, suivre des sentiers tortueux, surtout quand elles programmaient des parcours à travers les institutions d’assistance sociale.

  • 42 En 1743, dans le Conservatorio il y avait 523 filles de la maison, seules quelques-unes d’entre ell (...)
  • 43 AOG, CC I, Per Benedetta figlia di casa sop.a chiamata Pagana, ch’era destinata nel quart.re delle (...)
  • 44 AOG, Cause (Criminalium). De 1772 à 1787 (ci-après CC III), Contro Cattarina figlia di casa sop.a n (...)
  • 45 AOG, CC III, Contro Maddalena figlia di casa sopra nominata Remorcione per rapporto di attentato pr (...)
  • 46 AOG, CC III, Ricerche contro Daria, ed Angelina figlie di casa, e lavandare sul sospetto di pratich (...)
  • 47 AOG, CC I, Processo di furto di denaro fatto a Francisca figlia di casa soprannom.ta Airola contro (...)

19Citons également les circulations dues au comportement des filles de la maison demeurant au sein du Conservatorio et dont une partie officiait à l’hôpital42. On ne sait rien du précédent scandale que fit éclater Benedetta, ni des raisons de la détention à l’Hôtel de Caterina et de certaines de ses compagnes, mais quelques informations sont disponibles sur leur récidive. La première, accusée de manque d’attention dans le service fut mise au pain noir (et donc pas en correction) à l’Hôtel, en 1790, avec la ferme résolution de résoudre le problème, à l’avenir, en la mariant43. La seconde, surprise alors qu’elle projetait d’attenter à la vie de la Supérieure en 1780, fut envoyée parmi les filles mises en correction44. Caterina ne fut pas la seule à en vouloir à la Mère Supérieure : Maddalena, trois ans après, essaya de l’éliminer, mais le résultat fut le même45. Les scandales, surtout d’ordre sexuel, étaient généralement tus en déplaçant les responsables tout d’abord à l’Hôtel (sous le nom de la nourrice pour ne pas éveiller les soupçons) et, six mois après, au domicile du mari, comme ce fut le cas pour les trois jeunes filles coupables d’avoir eu des relations avec des domestiques et des médecins46. Les cas de vols étaient plus facilement tolérés, si l’on considère que la peine consistait à la réclusion dans l’Hôtel. Du reste, le va-et-vient était si intense qu’il arrivait de devoir retirer une jeune fille pour qu’elle laisse sa place à une consœur plus fautive47.

  • 48 AOG, Cause (Criminalium). De 1773 à 1827 (ci-après CC IV), Per Giuliana figlia di casa proseguiment (...)
  • 49 AOG, CC IV, Deposizione di Apollonia figlia di casa maritata con Giusep.e Fruttuoso q Giambatta, 20 (...)
  • 50 Liens résultant d’autres cas : AOG, CC IV, Per Antonia figlia di casa, 18 avril 1776, une fille de (...)

20Jusqu’ici, il n’a été question que des détentions résultant de peines, mais les filles de la maison pouvaient aussi demander à être transférées ou internées de leur plein gré après leur mariage. Ainsi, en 1775, Giuliana, lasse d’être marginalisée par la communauté à cause de ses convictions religieuses jugées hérétiques, déclara-t-elle préférer être internée à l’Hôtel, ce qui fut fait48. Apollonia, quant à elle, après avoir découvert que son mari l’avait épousée uniquement pour en faire l’une des favorites d’un homme de sa connaissance, réussit à s’échapper et à demander de l’aide à Pammatone49. Elle entretenait de solides liens avec certains membres de l’Hôtel50 et fut envoyée, pour quelques temps, chez la femme du cordonnier de l’institution ; on l’installa ensuite dans un Conservatorio, à Prè.

  • 51 AOG, données déduites des fiches et des cahiers concernant les dots des filles de la maison, de 170 (...)
  • 52 AOG, CC I, Deposizione di Teresa Paniere moglie di Giambatta Costagutta sopra il di lei parto illeg (...)

21Les institutions d’assistance sont ainsi sollicitées pour réguler des équilibres familiaux problématiques. De nombreuses familles s’y sont formées, renforcées ou divisées. Au cours du XVIIIe siècle, Pammatone maria 2 622 filles de la maison51 ; parmi leurs maris, on compte 269 exposés : 10 % des mariages unirent donc les enfants de l’hôpital, élevés et mariés à ses frais et sous ses hospices. On peut supposer que l’Hôtel des pauvres a, lui aussi, fait le maximum pour distribuer des dots et élever des enfants orphelins ou abandonnés : dix femmes hospitalisées à Pammatone déclarèrent s’y être mariées, quatre personnes y avaient passé leur enfance suite à l’abandon ou à la mort de leur père, douze avait confié un ou plusieurs enfants à la maison d’enfermement… Teresa qui se trouvait parmi les accouchées, vivait avec sa mère, laquelle allait travailler tous les jours (elle était tisseuse) à la maison d’enfermement : consciente de ses avantages, elle avait tenté d’y entrer, mais on lui avait répondu qu’elle était jeune et pouvait subvenir à ses besoins. Ce n’est qu’en entrant, enceinte, à Pammatone, qu’elle réussit à faire promettre au greffier de se faire interner et entretenir à l’Albergo52.

  • 53 AOG, CC IV, s. i., 23 juin 1790 ; s. i., 26 juin 1790 e s. i., 12 juillet 1790.
  • 54 Souvent des femme seules : sur 81 citant l’Hôtel dans les documents du XVIIIe siècle, on trouve : 4 (...)

22La vie de nombreuses personnes fut ainsi marquée par l’univers de l’assistance, comme celle de Caterina Costa, âgée de 18 ans, orpheline d’un fourreur, envoyée en correction à l’Hôtel par le Sénat, en 1783. En janvier 1784, elle réussit à passer parmi les volontaires. Son oncle lui paya deux mois, le curé de la Maddalena deux mois aussi et Marianna Negroni le reste. En août de la même année, elle épousa Matteo, marchand mercier du fief de S. Cristoforo. Après leur mariage, ils restèrent à Gênes, mais son mari la fit à nouveau interner à l’Hôtel des pauvres, probablement pour résoudre des problèmes économiques, car il s’engagea ensuite dans l’armée, puis déserta. Cinq ans après son mariage, on retrouve Caterina à l’hôpital pour accoucher d’un enfant illégitime qui passera sa vie entre les institutions : pour survivre, elle en arriva à vendre son corps53. Son parcours retrace les tourments du quotidien, mais aussi le recours aux ressources de l’assistance pour surmonter, plus ou moins efficacement, les moments difficiles pesant sur les franges les plus vulnérables de la population : femmes et enfants54.

  • 55 Le décret du magistrat des Pauvres est cité pour la première fois au CC III, Gio’ Morone contro, 6  (...)

23L’accouchement illégitime faisait bien sûr partie de ces situations complexes, qui en plus d’accabler les catégories les plus faibles, augmentait les dépenses de l’hôpital. Un accord fut conclu entre Pammatone et le Magistrato dei Poveri, débouchant sur le décret du 2 mars 1758 : les femmes qui accouchaient à l’Hôtel seraient interrogées et leur déposition envoyée à l’hôpital pour que celui-ci, conformément à la loi du 22 novembre 1481, puisse poursuivre le père naturel et lui faire payer les frais d’accouchement55, ainsi qu’une pension pour l’entretien de l’enfant. À partir de ce moment, Pammatone procéda finalement à des interrogatoires pour chaque accouchement ou exposition. L’accord entre les deux institutions déboucha sur 27 dépositions : 13 femmes furent transférées à l’hôpital pour accoucher et les 14 autres accouchèrent à l’Hôtel. Le nombre des expositions provenant de la maison d’enfermement fut vraiment réduit, si l’on considère les 1 349 accouchées qui se réfugièrent à Pammatone. Ceci indique une différence entre celles qui, après s’être réfugiées à l’hôpital pour accoucher, espéraient ressortir rapidement et sereinement grâce à la condamnation que l’hôpital avait infligée au coupable de la grossesse, et celles qui, au contraire, en entrant à l’Hôtel, espéraient pouvoir s’y installer pour quelques années.

  • 56 L’importante fonction du parrainage pour créer des réseaux de relations et de clientèle a été étudi (...)

24Pour y arriver, il fallait réussir à capter – comme l’espérait Teresa – des ressources provenant de la bienfaisance. Dans certains cas, c’étaient les parents ou les « assistés » eux-mêmes qui payaient, sinon l’aide provenait d’une Dame de la Miséricorde au nom grandiloquent (Lomellino, Brignole, Grimaldi, Negrone, Pallavicino, selon les déclarations de 14 personnes), d’un curé de paroisse (pour 3 personnes), de l’évêque (1 personne) et pour finir, de Pammatone (9 personnes). On a aussi quelques informations sur les individus qui aidaient à entrer dans la maison d’enfermement. Ceux-ci, quand ils ne faisaient pas partie de la famille, se posaient en véritables médiateurs : curés de paroisse (11 cas), feudataire (1 cas) et même, dans le dernier cas (celui de Rosa Canezza, 21 ans, qui en 1827 était enceinte d’un musicien de l’armée), le parrain de la jeune femme, le Magnifico Giacomo Spinola, qui se chargea de la faire entrer à l’Hôtel, où il était député56.

25Les réseaux de relations qu’un individu avait depuis sa naissance ou qu’il avait construit durant sa vie, étaient donc extrêmement importants. Ils permettaient à des familles ou à des particuliers, dans des périodes de crise, de marginalité ou d’extrême pauvreté, d’exploiter les opportunités offertes par l’entrée ou l’enfermement dans les grandes institutions (travail, soins, distribution de bienfaisance, possibilité de s’éloigner de la communauté dans des moments de ruptures avec les conventions, comme l’accouchement illégitime, ou de rééquilibrer les rapports au sein de la famille avec l’exposition). L’enfermement n’étant jamais définitif, ceci consolida des pratiques et des modalités d’exploitation des ressources offertes, ainsi qu’une capacité à se mouvoir parmi les institutions pour en tirer avantage ce qui est caractéristique d’une « culture des bénéficiaires ».

26Des parcours s’organisèrent alors au sein des institutions génoises du XVIIIe siècle, moyennant diverses possibilités d’entrée, de transit et de sortie. Ces mobilités assuraient un turnover important qui favorisa la diffusion des informations sur les lieux où les prestations d’assistance médicale étaient fournies, sur l’efficacité des soins, la qualification du personnel de santé et sur la possibilité de trouver un emploi au sein de Pammatone. Pour sa part, l’hôpital tenta de se montrer à la hauteur des exigences de la population en affirmant sa solidité scientifique et morale, en cachant les cas les plus frappants d’insubordination avec la complicité des autres institutions, en établissant des relations de confiance avec la plupart de ses employés, en offrant des possibilités d’emploi et de mobilité sociale, en utilisant ses compétences judiciaires avec circonspection et en s’ouvrant vers l’extérieur, comme il fit – c’est le cas le plus frappant – avec les filles de la maison.

27Au sein du système d’assistance global, Pammatone se distingua donc à la fois comme lieu de soins et de transmission du savoir médical, mais aussi comme point de référence économique et social, notamment pour sa capacité à créer de nouvelles catégories professionnelles en les proposant à la fois aux plus marginaux (les exposés) et à la population. Ce n’est qu’à la fin de l’Ancien Régime, avec l’ébranlement du système d’assistance et le changement des équilibres, qu’une transformation et une spécialisation de ses composantes accompagna le changement des structures économiques, politiques et sociales de la société génoise.

L’hôpital comme lieu de soins

  • 57 Pour une vision d’ensemble sur cette question de la confiance, voir LINDEMANN M., Medicine and Soci (...)
  • 58 CONRAD P., The Medicalization of Society: Transformation of Human Conditions into Treatable Disorde (...)

28Demandons-nous à présent comment l’insertion de l’hôpital au sein du système d’assistance a pu avoir un impact sur ses activités de soin. Malheureusement, dans le cas de Pammatone, les sources disponibles ne permettent pas d’approfondir les aspects cliniques et scientifiques des rapports entre médecins, chirurgiens et patients. Toutefois, elles permettent de cerner la culture médicale des bénéficiaires élaborée par une circulation ininterrompue d’informations sur les soins procurés par l’institution, familiarisant la population avec les pratiques médicales de l’époque et créant un climat de confiance57. En effet, si nous considérons, en suivant P. Conrad, la médicalisation de la société comme une forme d’action collective58, il est indéniable que Pammatone était largement fréquenté parce qu’il offrait des services médicaux reconnus et qu’une confiance grandissante caractérisait ses relations avec la population.

  • 59 AOG, CC I, Fatto che riguarda due persone che volevano entrare per forza nello spedale, 13 ottobre (...)
  • 60 AOG, CC I, Sopra insulto fatto al sottoportiere da, 18 ago 1795.
  • 61 AOG, CC IV, A. Deposizione di Apollonia figlia di casa maritata con Giusep.e fruttuoso q Giambatta, (...)

29L’important turnover entre les différentes institutions génoises ainsi que la capacité à se mouvoir de l’une à l’autre furent certainement les vecteurs préférentiels de la diffusion des informations relatives aux activités de l’hôpital. Mais si la population avait une connaissance aussi approfondie des services prodigués, c’était surtout parce que ce dernier s’ouvrait sur l’extérieur. Des personnes transitaient continuellement au sein de l’institution, que ce soit pour se faire soigner par un médecins ou un chirurgien59, dans un but commercial (fournisseurs60) ou professionnel (employés), pour apporter son soutien aux malades hospitalisés, ou encore approcher les filles de la maison – notamment pour en choisir une comme épouse61 – ou le personnel.

  • 62 « que si l’hôpital nous entretenait, c’était pour soigner les gens et qu’il voulait que je soigne l (...)
  • 63 AOG, CC III, Processo contro Agno Sbarbaro, 3 febbraio 1779.

30L’ouverture vers l’extérieur offrait une forme de publicité à l’hôpital, alors sollicité en cas de besoin. Une mésaventure du barberotto Luigi Marchelli montre à quel point certains malades estimaient même que ces services médicaux devaient leur être dispensés. Menacé par trois hommes l’intimant de soigner l’un d’entre eux, il les dirigea vers le service adéquat, mais il s’entendit répondre che l’ospedale ci manteneva aposta per medicare, e che volea che medicassi il detto soldato, e che non sapeva ove fossero le cantere62. Cet épisode, bien que reflétant le peu de respect qu’avaient ces hommes pour les barberotti, prouve bien que l’hôpital était devenu un lieu central des soins, notamment dans des situations d’urgence, et qu’il était déjà considéré comme le fournisseur d’un service qui, d’une certaine façon, était dû63.

  • 64 Sur l’accouchement, voir ACCARI L., MAHER V. et POMATA G. (dir.), « Parto e maternità: momenti dell (...)

31Si l’affluence à Pammatone peut s’expliquer par la circulation de l’information sur les services qu’il propose, son insertion au sein du système d’assistance et ses liens étroits avec une partie non négligeable de la population, elle s’explique aussi, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, par la loi sur les accouchements illégitimes de 1481, nouvellement appliquée à partir de 1759. Cette disposition, déjà mentionnée, permettait aux femmes de cacher leur grossesse à l’hôpital, d’être assistées pendant l’accouchement et, quand cela était possible, de se retourner contre le père naturel en le dénonçant et en lui faisant payer les frais d’accouchement et une pension pour l’enfant. Elle rencontra un vif succès dès sa mise en application : l’afflux des femmes enceintes et des accouchées à l’hôpital augmenta progressivement, passant de 15 en 1759 à 71 en 1791. Celle-ci fit donc augmenter la présence des femmes enceintes au sein de Pammatone, entraînant de facto une médicalisation progressive de l’accouchement et une plus grande familiarité avec les services offerts par l’hôpital64.

32La figure 1 ci-dessous illustre l’augmentation progressive du nombre de malades à l’hôpital au cours du XVIIe siècle, suivie de pics de fréquentation particulièrement élevés dans la première moitié du XVIIIe siècle en raison d’épidémies de fièvre graves et répétées. La courbe finit par baisser de façon constante dans la deuxième moitié du XVIIIe, pour arriver à 1 100 malades en 1796.

  • 65 Le graphique a été élaboré à partir des informations tirées du livre de C. Carpaneto da Langasco su (...)

[FIG 1] Nombre de malades présents au sein de l’hôpital (moyenne mensuelle pour chaque année considérée)65

[FIG 1] Nombre de malades présents au sein de l’hôpital (moyenne mensuelle pour chaque année considérée)65

33En revanche, la figure 2 met en lumière la croissance progressive des hospitalisations pour accouchement. On observe donc deux tendances inversées : à une baisse progressive de l’activité quotidienne de l’hôpital, en grande partie due à une diminution des épidémies de fièvre, correspond une augmentation des ressources à trouver pour accueillir, assister et s’occuper des femmes enceintes désireuses d’accoucher à Pammatone, pour y laisser ensuite leur enfant illégitime, après avoir fait une déposition contre le père naturel. Ceci laisse supposer des changements internes importants, avec une spécialisation de l’institution sur les activités obstétriques, entraînant des modifications dans la formation et la pratique liées à cette spécialité médicale et chirurgicale qui demeurent à étudier. Ce nouvel afflux de femmes enceintes contraignit également les responsables de Pammatone à revoir à la hausse les ressources destinées à l’obstétrique, l’institution devenant année après année le lieu d’une médicalisation de la naissance.

[FIG 2] Femmes hospitalisées pour leur accouchement (données regroupées par quinquennat)

[FIG 2] Femmes hospitalisées pour leur accouchement (données regroupées par quinquennat)

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34Les années qui suivirent la Révolution Française entraînèrent un brusque déclin des activités de l’hôpital, avant qu’une reprise ne s’amorce dans la première décennie du XIXe siècle. On ne peut que souligner une forte continuité entre les XVIIIe et XIXe siècles par la progression constante de la médicalisation entraînant, après les épisodes révolutionnaires, la concentration des ressources de l’État dans le financement du service sanitaire et l’abandon d’autres formes d’assistance.

  • 66 CAVALLO S., Artisans of the Body…, op. cit.
  • 67 I. Mortimer, dans The Dying and the Doctors, décrit une situation identique à celle de Gênes dans s (...)

35Tandis que les chirurgiens turinois entretenaient des relations de travail avec divers professionnels exerçant leur activité en dehors de l’hôpital66, à Pammatone, grâce à la laïcisation du personnel, on assista à une ouverture vers l’extérieur dans de nombreux secteurs professionnels. À partir de la fin du XVIIe siècle, l’institution avait progressivement ouvert ses portes aux membres laïcs et à la population, construisant ainsi, à travers différents types de liens, un large consensus. Ces derniers servirent aussi à l’hôpital pour faire connaître ses activités de soins, renforcées par sa position au sein du système d’assistance : la « culture des bénéficiaires » qui prit forme au gré des déplacements d’une institution à l’autre véhicula les informations sur les soins prodigués par l’hôpital, lesquelles jetèrent les bases d’une culture médicale qui permit d’établir un rapport de confiance entre l’hôpital et ses patients. La familiarité et la confiance de la population envers les institutions d’assistance génoises expliquent peut-être en partie la marginalisation rapide des autres recours67.

36Soulignons pour finir une des révélations des procès criminels produits par la Magistrature de Pammatone : suite à la réactivation d’une loi existant déjà depuis des siècles, l’hôpital a dû augmenter ses ressources humaines et économiques pour les investir dans un seul service, celui des femmes enceintes, afin de faire face à l’afflux massif des patientes. Restent à évaluer les retombées sur les pratiques médicales et d’assistance, ainsi que sur le développement de nouvelles connaissances dans le domaine de l’obstétrique.

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Notes

2 Concernant les médecins dans l’Italie moderne, voir PASTORE A., Il medico in tribunale. La perizia medica nella procedura penale d’antico regime (secoli XVI-XVIII), Casagrande, Bellinzona, 2004 ; ARCANGELI A., Mestieri e professioni nella letteratura medica (secoli XV-XVII), et GENTILCORE D., Regole per i medici, regole per i ciarlatani. Il Protomedicato di Siena tra sei e settecento, in M. L. BETRI, A. PASTORE (dir.), L‘arte di guarire. Aspetti della professione medica tra medioevo ed età contemporanea, Clueb, Bologna, 1993, p. 256-267 et p. 239-55 ; MERIGGI M., PASTORE A. (dir.), Le regole dei mestieri e delle professioni: secoli XV-XIX, Milano, Franco Angeli, 2000 ; Ibidem, Avvocati, medici, ingegneri. Alle origini delle professioni moderne (secoli XVI-XIX), Clueb, Bologna, 1997; DE RENZI S., « The Risks of Childbirth: Physicians, Finance, and Women’s Deaths in the Law Courts of Seventeenth-Century Rome », Bulletin of the History of Medicine, 84 (Winter 2010), p. 549-577. Une attention très particulière a été portée à la révolution scientifique et professionnelle des chirurgiens : ACKROYD M., BROCKLISS L., et al., Advancing with the Army. Medicine, the Professions and Social Mobility in the British Isles, Oxford University Press, 2006 ; GELFAND T., Paris Surgeons and Medical Science and Institutions in the 18th Century, Westport, Greenwood Press, 1980 ; TEMKIN O., The Role of Surgery in the Rise of Modern Medical Thought, in The Double Face of Janus, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1977; DE RENZI S. et CONFORTI M., Sapere anatomico negli ospedali romani: formazione dei chirurghi e pratiche sperimentali (1620-1720), in ROMANO A. (dir.), Rome et la science moderne entre Renaissance et Lumières, Rome, École Française de Rome, 2008, p. 432-472. Cf. également le point de vue de FILOPPO DE VIVO sur les pharmacies : « Pharmacies as Centres of Communication in Early Modern Venice », Renaissance studies, 21, n° 4, 2007, p. 505-521.

3 FILIPPINI N. M., « Levatrici e ostetricanti a Venezia tra Sette e Ottocento », Quaderni Storici, anno XX, n° 58, aprile 1985, p. 149-180 ; PANCINO C., Il bambino e l’acqua sporca. Storia dell’assistenza al parto dalle mammane alle ostetriche (secoli XVI-XIX), Milano, Franco Angeli, 1984 ; Ibidem, Malati medici mammane e saltimbanchi. Malattia e cura nella Bologna d’età moderna, in PRODI P. et PROSPERI A. (dir.), Storia di Bologna. III. L’età moderna, Bologna, Bonogna University Press, 2008.

4 MORTIMER I., The Dying and the Doctors: The Medical Revolution in Seventeenth-Century England, Royal Historical Society/Boydell Press, 2009.

5 CAVALLO S., Artisans of the Body in Early Modern Italy. Identities, families and masculinities, Manchester, Manchester University Press, 2007. Cf. également PASTORE A., Le regole dei corpi. Medicina e disciplina nell’Italia moderna, Bologna, il Mulino, 2006 et DE RENZI S., Medical Expertise, Bodies, and the Law in Early Modern Courts, ISIS, 98(2), 2007, p. 315-322.

6 Dans sa naissance et son développement, l’hôpital de Gênes suivit le même schéma que la plupart des hôpitaux des villes de la péninsule : il fut financé grâce à des legs, des donations, des testaments, ainsi que des biens résultant de la suppression de petits hôpitaux médiévaux. Cf. SNEIDER M. T., Charity and property. The wealth of opere pie in early modern Bologna, p. 131-152, in ZAMAGNI V. (dir.), Povertà e innovazioni istituzionali in Italia. Dal medioevo a oggi, Bologna, il Mulino, 2000 ; HENDERSON J., The Renaissance Hospital. Healing the Body and Healing the Soul, London, Yale University Press, 2006 ; GRIECO A. J. et SANDRI L. (dir.), Ospedali e città. L’Italia del Centro-Nord, XIII-XVI secolo, Atti del convegno (Firenze 27-28 aprile 1995), Firenze, Le Lettere, 1997.

7 L’histoire de Pammatone est reparcourue par CARPANETO DA LANGASCO C., Pammatone. Cinque secoli di vita ospedaliera, Genova, Ospedali Civili, 1953.

8 Le grand intérêt que les hôpitaux suscitaient parmi les bienfaiteurs est également démontré dans les œuvres d’art que ces derniers faisaient réaliser afin de les exposer à l’intérieur. Sur le lien entre art et médecine, GHIDETTI E. et DIANA E. (dir.), La bellezza come terapia. Arte e assistenza nell’ospedale di S. Maria Nuova a Firenze, Firenze, Edizioni Polistampa, 2005.

9 Cf. la correspondance d’Anna Maria Pallavicini et de son mari Gian Luca (décembre 1746), dans COSTANTINI C., La Repubblica di Genova nell’età moderna, Torino, UTET, 1978, p. 436-438. Cf. HENDERSON J., HORDEN P. et PASTORE A. (dir.), The impact of Hospitals, 300-2000, Bern, Peter Lang, 2007, p. 59-135 ; CAVALLO S., Charity, Power and Patronage in Eighteenth-Century in Italian Hospital: the Case of Turin, in GRANSHAW L. et PORTER R. R. (dir.), The Hospital in History, London-New York, Routledge, 1989, p. 93-122 ; FERRANTE L. et al., Ragnatele di rapporti. Patronage e reti di relazione nella storia delle donne, Torino, Rosenberg & Sellier, 1988.

10 BONATO C., Crimini di povertà: la Genova del Settecento, tesi di laurea, Università degli Studi di Torino, facoltà di Lettere e Filosofia, a.a. 2006/07.

11 GRENDI E., Ideologia della carità e società indisciplinata : la costruzione del sistema assistenziale genovese (1470-1670), in POLITI G. et al., Timore e carità. I poveri nell’Italia moderna, Cremona, Biblioteca Statale, 1982.

12 L’activité de l’Hôtel des Pauvres débuta en 1656. Officiellement reconnu comme maison d’enfermement, il fournit une assistance à diverses catégories de personnes : mendiants, lépreux, individus envoyés en redressement, prostituées mais aussi femmes ou jeunes filles, personnes âgées, orphelins…

13 Registres, Manuels des décrets, mais surtout procès criminels conservés dans les Archives de l’Hôpital de Gênes (ci-après dénommé AOG).

14 C’est ce que souligne également E. TADDIA dans « Corpi, cadaveri, chirurghi stranieri e ceroplastiche: l’ospedale di Pammatone a Genova tra Sei e Settecento », Mediterranea. Ricerche storiche, n° 15, 2009, p. 157-194.

15 Le nombre de famille pratiquant l’exposition est de plus en plus important et au XVIIIe siècle, avec l’augmentation de la population, le nombre des enfants exposés s’accroit rapidement au point qu’en 1759, la Magistrature remet en vigueur une loi de 1481 permettant d’obliger le père naturel de l’enfant à payer une pension pour son entretien, sur simple accusation de la mère. À titre d’exemple, pour l’année 1743, on enregistre, à la charge de l’hôpital, 2 917 exposés et 523 filles de la maison.

16 Le Magistrat de l’hôpital, qui avait juridiction sur tous les délits commis contre et dans l’institution, était également le tuteur des filles de la maison.

17 AOG, CC II, Processo di furto a danni di Maria figlia dell’ospedale contro di Sebast.o e Tommaso padre e figlio Brusoni, 4 agosto 1795.

18 En 1710, la moyenne mensuelle des personnes hospitalisées était de 1 674 ; elle chuta à 1 200 en 1730, puis remonta à 1 369 en 1741 pour atteindre un pic de 2 083 en 1743. Dans la deuxième moitié du siècle, l’afflux se réduisit peu à peu : 1 100 personnes en 1796, 600 en 1809.

19 CARPANETO DA LANGASCO C., Pammatoneop. cit, p. 245.

20 Littéralement un barberotto est un phlébotomiste qui pratique la saignée dans les hôpitaux, mais il s’agit ici, par extension, d’un chirurgien-barbier, autrement dit élève de l’école de chirurgie de l’hôpital.

21 La carrière intergénérationnelle de la famille Bonomi en est un exemple éloquent : du portier (Vincenzo Bonomi fu Bernardo) au chirurgien assistant (Pietro Bonomi, son fils). AOG, Cause (Criminalium). À partir de 1788, jusqu’en 1802 (ci-après CC I) senza intestazione (ci-après s.i.), 31 mars 1790.

22 AOG, CC I, Deposizione di Teresa Pertina Testa per il fatto a cui ha dato luogo la condotta de Giac.o Biocca, 16 octobre 1790.

23 Cf. FOUCAULT M., Folie et déraison. Histoire de la folie à l’âge classique, Plon, Paris, 1961, mais surtout, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Gallimard, Paris, 1975. Il existe bon nombre d’études qui entendent dépasser la vision coercitive foucaldienne, dont nous ne citerons que HENDERSON J., The Renaissance Hospitalop. cit. ; FISSEL M. E., Patients, Power and the Poor in Eighteenth-Century Bristol, Cambridge, Cambridge University Press, 1991 ; LESCAZE B. (dir.), Sauver l’âme, nourrir le corps : de l’Hôpital général à l’Hospice général de Genève. 1535-1985, Genève, Hospice Général, 1985 ; LOUIS-COURVOISIER M., L’Hôpital général de Genève, 1545-1555, Genève, 1985 et Soigner et consoler. La vie quotidienne dans un hôpital. Genève, 1750-1820, Genève, Georg, 2000.

24 Le problème a été posé par ALLEGRA L. dans Stato e monopolio del controllo sociale. Il caso del Piemonte fra ‘700 e ‘800, dans PASTORE A. et SORCINELLI P. (dir.), Emarginazione criminalità e devianza in Italia fra ‘600 e ‘900, Milano, Franco Angeli, 1990, p. 81-82.

25 GRENDI E., « Premessa a Sistemi di carità: esposti e internati nella società di antico regime », Quaderni Storici, 53, 1983, p. 386 ; BONATO C., « L’assistenza come risorsa. Il caso genovese », Bollettino Storico-Bibliografico Subalpino, 1, 2009, p. 57-135.

26 Ibidem.

27 Avec le décret, le retour à l’institution n’était autorisé que deux ans après les soins : BRUZONNE, « L’Albergo dei Poveri nei documenti del secolo XVIII e il « Ragionamento » di G. B. Grimaldi », Quaderni Franzoniani, 2, 1990, p. 137, note 27. La syphilis, répandue vers la fin du XVe siècle, a d’abord été soignée au sein de gli Incurabili, mais l’afflux considérable de patients obstrua vite les services de Pammatone. En 1790 on régularisa la situation avec un accord entre les deux hôpitaux qui prévoyait pour Pammatone la prise en charge définitive de ceux qui étaient touchés par le « mal gallico ». CARPANETO DA LANGASCO C., Pammatone… op. cit., p. 215 et p. 272-273.

28 32 % d’hommes et 40 % de femmes en 1676-79, selon GRENDI E., « Pauperismo e Albergo dei Poveri nella Genova del Seicento », Rivista Storica Italiana, 4, 1975, et La Repubblica aristocratica dei genovesi, Bologna, il Mulino, 1987, p. 259.

29 Pris en apprentissage.

30 Il existe deux possibilités : manger blanc (qui prévoyait du pain blanc, plus cher et de bonne qualité et une meilleure nourriture) et manger noir (pain noir, nourriture moins variée et moins nourrissante).

31 BRUZZONE, L’Albergo dei Poveri… op. cit., p. 147 pour l’Instruction et p. 131, note 9 pour les décrets de renvoi.

32 Cf. notamment FERRANTE L. et al., Ragnatele di rapporti… op. cit.

33 Voir l’AOG, St. I, Registro 1765-1766, n. 21, Div. B, p. 149-159.

34 Au XVIIIe siècle, le mouvement entre l’Hôtel et les hôpitaux était particulièrement important, voir DELOGU M., L’Albergo dei Poveri nella Genova del Settecento, tesi di laurea, Università degli studi di Genova, facoltà di Lettere e Filosofia, a.a. 1979/80, relatore : prof. E. Grendi.

35 Ibidem, p. 57 : les données pour 1780 (informations tirées de Rollo degli uomini dell’Archivio Storico del Comune di Genova) disent que cette année-là, 382 personnes sortirent de l’Hôtel des Pauvres. 158 d’entre-elles furent accueillies dans les deux hôpitaux tandis que 157 furent renvoyées, 29 « accartate » (employées comme ouvriers), 23 décédèrent et 15 s’enfuirent.

36 Les documents concernant l’activité juridique du Magistrat concernent l’ensemble du XVIIIe siècle, mais présentent des disproportions concernant le nombre de personnes impliquées dans les procès ouverts avant 1759 (291) et après (3 851). Ceci est lié à la loi de 1759, remettant en vigueur celle de 1481 permettant d’obliger le père naturel de l’enfant à payer une pension pour son entretien, sur simple déclaration d’accusation de la mère. Le nombre de personnes témoignant d’un parcours à travers les institutions augmente alors avec la hausse des hospitalisations pour accouchement, avec un pic maximum en 1781-1790 (31 personnes).

37 AOG, Cause (Criminalium). De l’an 1704 à 1785 (ci-après CC II), Processo formato contro di Pellegrina Baliana, 6 février 1710.

38 AOG, CC I, Per Rosa Santamaria moglie di Venanzio Massa rimessa dall’Albergo di Carbonara, e ad instanza dell’Illmo Depto dell’Eccmo Magto d’Inquisit.ri di Stato, per esserne ricevuto il di lei parto, e successiva deposizione della stessa, 25 octobre 1786.

39 « pour être protégée et libérée de la persécution de mondit père qui fut ensuite jeté en prison »

40 « pour purger la peine de détention qui lui avait été infligée en correction »

41 « pour y être protégée »

42 En 1743, dans le Conservatorio il y avait 523 filles de la maison, seules quelques-unes d’entre elles travaillaient à l’hôpital : CASSIANO DA LANGASCO C., Pammatone…, op. cit, p. 173-179.

43 AOG, CC I, Per Benedetta figlia di casa sop.a chiamata Pagana, ch’era destinata nel quart.re delle Balie alla cura de’ figlioli infetti, 4 septembre 1790. Il semble que l’accusation avait pour but d’éloigner la jeune fille : il ne résulte pas de graves manquements de sa part dans le cas précis.

44 AOG, Cause (Criminalium). De 1772 à 1787 (ci-après CC III), Contro Cattarina figlia di casa sop.a nominata il Bisagnino per attentato machinato contro altra figlia di casa, e minacciato pure contro la Madre superiora del Conservatorio, 13 juillet 1780.

45 AOG, CC III, Contro Maddalena figlia di casa sopra nominata Remorcione per rapporto di attentato premeditava contro la madre del Conservatorio, 27 décembre 1783.

46 AOG, CC III, Ricerche contro Daria, ed Angelina figlie di casa, e lavandare sul sospetto di pratiche geniali con Persone inservienti nello spedale, 28 février 1787.

47 AOG, CC I, Processo di furto di denaro fatto a Francisca figlia di casa soprannom.ta Airola contro Maria pure figlia di casa soprannominata la lentichiosa, 15 juillet 1788. En CC III on trouve les procès Per furto di biancherie contro Teresa, e Rosa figlie di casa, 26 mai 1774, et deux pour la même personne : Contro Niccoletta figlia di casa per furti da essa commessi, ed inclinazione ad un tale vizio, et Contro Niccoletta figlia di casa per nuovi furti da essa commessi. De toute évidence, les méthodes de correction appliquées pour Nicoletta n’avaient pas porté leurs fruits, vu qu’elle s’avérait être « anche più depravata in tale vizio ».

48 AOG, Cause (Criminalium). De 1773 à 1827 (ci-après CC IV), Per Giuliana figlia di casa proseguimento di provvidenze sugli avvenimenti della precedente sua condotta, 30 mars 1775.

49 AOG, CC IV, Deposizione di Apollonia figlia di casa maritata con Giusep.e Fruttuoso q Giambatta, 20 juillet 1784.

50 Liens résultant d’autres cas : AOG, CC IV, Per Antonia figlia di casa, 18 avril 1776, une fille de la maison enceinte d’un enfant illégitime fut cachée à la communauté chez une accoucheuse de l’hôpital. À la lecture de tous les documents, on comprend bien le lien existant entre certaines familles et l’hôpital, lequel y sélectionnait des candidats pour des postes à responsabilité dans l’institution, comme ce fut le cas, par exemple pour les Collano, employés à la conciergerie.

51 AOG, données déduites des fiches et des cahiers concernant les dots des filles de la maison, de 1701 à 1799.

52 AOG, CC I, Deposizione di Teresa Paniere moglie di Giambatta Costagutta sopra il di lei parto illegittimo, 25 février 1791.

53 AOG, CC IV, s. i., 23 juin 1790 ; s. i., 26 juin 1790 e s. i., 12 juillet 1790.

54 Souvent des femme seules : sur 81 citant l’Hôtel dans les documents du XVIIIe siècle, on trouve : 4 femmes séparées, 16 veuves, 25 célibataires et 29 mariées dont 16 abandonnées par l’époux.

55 Le décret du magistrat des Pauvres est cité pour la première fois au CC III, Gio’ Morone contro, 6 juin 1759 ; pour le procès-verbal du magistrat où l’on charge le magistrat de s’occuper de l’accord : AOG, Manuale de’ Decreti 1752 en 1763 de’ Sig.ri Quattro, réunion du 16 février 1758. Le texte integral de la loi du 22 novembre 1481 se trouve en AOG, CC I, Deposizione di Caterina, figlia nubile del fu Gio’ Batta Ratto, sul di lei parto illegittimo, contro Giovanni Mongiardino di Bar.meo farinotto abit.e nel borgo di Prè, 23 mars 1797.

56 L’importante fonction du parrainage pour créer des réseaux de relations et de clientèle a été étudiée, en ce qui concerne les communautés locales par LEVI G. dans Centro e periferia di uno stato assoluto. Tre saggi su Piemonte e Liguria in età moderna, Torino, Rosenberg & Sellier, 1985, p. 151-213. Pour la déposition de Rosa : AOG, CC IV, s. i., 13 février 1827.

57 Pour une vision d’ensemble sur cette question de la confiance, voir LINDEMANN M., Medicine and Society in Early Modern Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 2010.

58 CONRAD P., The Medicalization of Society: Transformation of Human Conditions into Treatable Disorders, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 2008, p. 9: « Far from medical imperialism, medicalization is a form of collective action ».

59 AOG, CC I, Fatto che riguarda due persone che volevano entrare per forza nello spedale, 13 ottobre 1790.

60 AOG, CC I, Sopra insulto fatto al sottoportiere da, 18 ago 1795.

61 AOG, CC IV, A. Deposizione di Apollonia figlia di casa maritata con Giusep.e fruttuoso q Giambatta, 20 luglio 1784; AOG, CC III, Processo c.o Romualdo Martini, 18 agosto 1778.

62 « que si l’hôpital nous entretenait, c’était pour soigner les gens et qu’il voulait que je soigne ledit soldat et qu’il ne savait pas où étaient les infirmeries ».

63 AOG, CC III, Processo contro Agno Sbarbaro, 3 febbraio 1779.

64 Sur l’accouchement, voir ACCARI L., MAHER V. et POMATA G. (dir.), « Parto e maternità: momenti della biografia femminile », numero monografico di Quaderni Storici, a. XV, n° 4, 1980 ; PANCINO C., Il bambino e l’acqua sporca…, op. cit. ; PIZZIN F. (dir.), Sulla scena del parto: luoghi, figure, pratiche, Milano, Franco Angeli, 1981 ; WILSON A., The Making of Man-midwifery. Childbirth in England, 1660-1770, Cambridge, Harvard Univesity Press, 1995 ; KING H., Midwifery, Obstetrics and the Rise of Gynaecology: The Uses of a Sixteenth-Century Compendium, Aldershot, Ashgate, 2007 ; FILIPPINI N. M., La nascita straordinaria. Tra madre e figlio: la rivoluzione del taglio cesareo (secc. XVIII-XIX), Milano, Franco Angeli, 1995.

65 Le graphique a été élaboré à partir des informations tirées du livre de C. Carpaneto da Langasco sur l’hôpital de Pammatone.

66 CAVALLO S., Artisans of the Body…, op. cit.

67 I. Mortimer, dans The Dying and the Doctors, décrit une situation identique à celle de Gênes dans son étude de l’Angleterre du XVIIIe. En revanche, D. Gentilcore, dans Healers and Healing, insiste sur la grande multiplicité et perméabilité de l’assistance médicale fournie par les ecclésiastiques, les soignants populaires et les thérapeutes officiels.

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Table des illustrations

Titre [FIG 1] Nombre de malades présents au sein de l’hôpital (moyenne mensuelle pour chaque année considérée)65
URL http://journals.openedition.org/hms/docannexe/image/651/img-1.png
Fichier image/png, 52k
Titre [FIG 2] Femmes hospitalisées pour leur accouchement (données regroupées par quinquennat)
URL http://journals.openedition.org/hms/docannexe/image/651/img-2.png
Fichier image/png, 64k
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Pour citer cet article

Référence papier

Cinzia Bonato, « Des familles aux institutions d’assistance médicale : parcours volontaires, parcours obligés (Gênes, XVIIIe siècle) »Histoire, médecine et santé, 5 | 2014, 79-97.

Référence électronique

Cinzia Bonato, « Des familles aux institutions d’assistance médicale : parcours volontaires, parcours obligés (Gênes, XVIIIe siècle) »Histoire, médecine et santé [En ligne], 5 | printemps 2014, mis en ligne le 19 mai 2017, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/hms/651 ; DOI : https://doi.org/10.4000/hms.651

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Auteur

Cinzia Bonato

Université de Turin, Italie.
Les activités de recherche de Cinzia Bonato, docteure en histoire moderne, portent sur l’histoire sociale du travail, de la pauvreté, de l’assistance et de la médecine. Elle s’apprête à publier un ouvrage sur le rapport entre la population et le système d’assistance de la République de Gênes.

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